27/10/2025

Résistance aux antibiotiques : Les dérives coupables du corps médical congolais

Le dernier rapport mondial de l’OMS sur la résistance aux antibiotiques tire la sonnette d’alarme. Au Congo-Brazzaville, en plus de nos lacunes relevées dans la surveillance du phénomène, il convient également d’aborder la responsabilité du corps médical au niveau local. D’autant plus qu’au final, les conséquences se payent cash sur la santé de tous.

Pharmaciens : gardiens ou complices ?

Au Congo, la délivrance d’antibiotiques sans ordonnance relève trop souvent d’une banalité dangereuse. Les pharmacies, censées être des filtres protecteurs, deviennent parfois des passe-droits. Pire encore, certains pharmaciens, pour ne pas perdre leurs stocks approchant la date d’expiration, collaborent avec des vendeurs ambulants. Ils aident donc indirectement, la nuit, les commerçants qu’ils critiquent le jour. Ces vendeurs à la sauvette, appelés « bana manganga », qui pullulent dans nos rues, écoulent des antibiotiques souvent contrefaits, de qualité douteuse, sans aucune garantie sanitaire.

Médecins : des prescripteurs parfois irresponsables

Ne soyons pas complaisants : les médecins aussi ont leur part de responsabilité. Prescrire des antibiotiques à gogo, même face à des infections virales où ils sont inutiles, est malheureusement courant. Nous, prescripteurs, avons contribué à la résistance à la ceftriaxone et à la ciprofloxacine. Ces antibiotiques très puissants à l’époque ont été prescrits abusivement, surtout par les assistants sanitaires présents dans les cabinets privés de proximité. Maintenant que le mal se fait sentir, certains prescripteurs, encouragés par des délégués médicaux qui ne pensent qu’à leurs chiffres d’affaires, commencent déjà à utiliser l’imipénème, une arme lourde jusque-là réservée aux cas extrêmes.

Rappelons que dans certains pays comme le Cameroun, le Nigeria ou le Bénin, la résistance à la ceftriaxone dépasse les 50 % (le Congo n’a pas fourni ses données). Chaque dose prescrite à tort est un coup porté à l’efficacité des traitements pour nos enfants, nos parents et nous-mêmes.

Les autorités : responsables d’un silence coupable

Au Congo, comme dans plusieurs pays africains, les autorités peinent à remonter les données nationales de résistance. Sans données fiables, il est difficile de sensibiliser, de faire appliquer les mesures et surtout d’anticiper les conséquences dramatiques.

Les malades, victimes de la précarité financière

Malheureusement, cette situation n’est pas seulement due à l’incurie des professionnels. Beaucoup de patients ne peuvent pas se permettre de payer les bilans médicaux indispensables pour un diagnostic précis. Comment alors peut-on prescrire correctement ? Résultat : des antibiotiques prescrits « à l’aveugle », par précaution, mais au risque d’aggraver la résistance. Espérons que la couverture maladie universelle devienne bientôt une réalité.

La lutte contre la résistance aux antibiotiques réclame un changement radical de la part de tous les acteurs du système de santé : pharmaciens, médecins, autorités et usagers. Du pharmacien qui refuse de délivrer un antibiotique sans ordonnance, sachant que son collègue également ne le fera pas, au médecin qui prescrit avec rigueur uniquement quand c’est nécessaire : c’est le prix à payer pour que les infections simples d’aujourd’hui ne deviennent pas mortelles demain.

Dr Euclide OKOLOU